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  • TABITABIYA

Que penser du concept d’ « appropriation culturelle » en relation avec le torii?

portique torii rouge d'un sanctuaire shinto au Japon

Notre amie Anika, de Real Japanese Gardens, nous a demandé de traduire, en français, ce post qu'elle a écrit sur ses réflexions concernant le concept d'"appropriation culturelle", qui a récemment fait rage, et l'utilisation du portique torii dans des jardins japonais conçus hors du Japon. Elle nous a aussi invité à poster cette traduction ici afin que vous, lecteurs francophones, puissiez le lire si le sujet vous intéresse. Vous pouvez retrouver le post original ici et ici.


TRADUCTION


"En tant que conceptrice de jardin spécialisée dans les jardins japonais, Anika est souvent confrontée à des jardins qui, hors du Japon, comportent des éléments vus comme typiquement japonais, tels que le portique torii. Pour savoir si cela était culturellement acceptable, elle en a exploré les origines ainsi que son utilisation au Japon et dans d'autres pays. En tant qu'amoureuse du kimono, j'ai suivi le battage médiatique soulevé par l’exposition du uchikake peint par Monet, au Museum of Fine Arts de Boston, Etats-Unis, en 2015, à l’initiative de la NHK. Lors d’un événement hebdomadaire, il était possible pour les mécènes américains d’essayer une réplique de ce kimono et de prendre des photos avec. Qu'est-ce que l'appropriation culturelle? Ce qui est arrivé m'a laissée sans voix : alors même que ce service était assuré par un initiateur japonais, un petit groupe d'américano-asiatiques estima qu’il s’agissait là d’une tentative d’ « appropriation culturelle ». Et, bien qu'un groupe de résidents nippo-américains et de résidents japonais, aux États-Unis, ait défendu l'exposition, la décision fut prise, par le musée, de suspendre ces sessions d’essayage du kimono. Mais cela ne veut pas dire que les discussions autour du port du kimono par des non-Japonais prirent fin. Pendant un bon bout de temps encore, des attaques venues du monde entier, sur les réseaux sociaux, prirent, au hasard, pour cible des étrangers portant des kimono. Ces attaques étant autant d’échos à l’action de ce premier groupe de militants lors de la publication de photos de non-asiatiques en kimono. Voici comment « l’appropriation culturelle » est définie par le dictionnaire Cambridge : "Le fait de prendre ou d'utiliser des éléments d'une culture qui n'est pas la vôtre, surtout sans montrer que vous comprenez ou respectez cette culture." Mais justement la plupart des personnes à avoir été attaquées apprécient véritablement le kimono. Par conséquent, si la culture d'où sont originaires les éléments extraits en soutient l’emprunt, peut-on encore dire qu’il s’agit d' appropriation culturelle ? Mais, en ce qui me concerne, ce qui m’est venu à l’esprit au sujet du phénomène d’appropriation culturelle n’est pas le kimono, ni même le cosplay en samourai. C’était l’utilisation du torii, ce portique rouge à l’entrée des sanctuaires shinto. En effet, en tant que conceptrice de jardin spécialisée dans les jardins japonais, je suis souvent confrontée à des jardins qui, hors du Japon, comportent des éléments vus comme typiquement japonais, tels que le portique torii. Aujourd'hui, j'aimerais explorer les origines des torii et leur utilisation au Japon et dans d'autres pays et examiner si leur utilisation dans un jardin pourrait constituer un acte d’ appropriation culturelle. Enfin, je souhaiterais trouver un moyen de contenter tout le monde, les Japonais comme les non-Japonais.


torii rouges menant à un sanctuaire shinto, dans la forêt, au Japon

L'histoire du torii Des écrits vérifiés font remonter l’existence du plus vieux torii du Japon à l’An 992. On ignore si ce genre de portique a été inventé au Japon ou s’il provient des torana (Inde), des hongsalmun (Corée) ou des pailou (Chine). Il est toutefois important de noter que, dans le shintoïsme, cette religion qui fait usage de portiques torii comme marqueur d’espaces sacrés, des poteaux reliés entre eux par des cordes et du papier blanc existaient déjà avant l’apparition du premier torii. Ces simples poteaux pourraient être les prédécesseurs du torii dans sa forme la plus simple. L'étymologie du mot « torii » Il y a deux théories principales derrière l'origine du terme torii. Si l’on se réfère au sens littéral strict de ces deux kanji 鳥居 , la signification du mot « torii » serait que «les oiseaux sont ici». Ce qui ne semble pas être tiré par les cheveux si l’on garde en tête que des coqs étaient élevés pour protéger des mauvais esprits. Il est aussi probable qu’un torii indiquait la présence d'un coq ou bien que l'oiseau s’y posait dessus. Une autre signification possible pourrait découler du seul son de ce mot et non du sens des kanji qui lui sont attribués : « toori iru » peut se traduire par «passer à travers et entrer». L'utilisation du torii au Japon Les torii sont des portiques de formes et de couleurs variées marquant l'entrée d'un sanctuaire shinto. Le shinto est l'une des deux principales religions du Japon. Celui qui passe un portique torii franchira la frontière entre le monde profane et le monde sacré des divinités shinto. Alors qu’aujourd’hui, tout le monde est libre d’entrer dans un sanctuaire, il n’y a pas si longtemps encore, cela n’était pas le cas, comme nous le prouve une citation de «Symboles Shinto: Les religions contemporaines au Japon, vol. 7, n ° 1 (1966) ” Le torii incarne une sorte de tabou (dans l'Antiquité, il était interdit d'entrer dans la zone située derrière le portique. Note). Il est d’ailleurs inapproprié de passer sous un torii entaché d’une impureté quelconque, spirituelle ou physique. Nous ne devons être porteurs ni de taches, ni de plaies ni de coupures ou maladies. […] Les moins pieux et les étrangers passent, en général, sous le torii sans aucune idée ou presque de sa signification. La structure d'un sanctuaire


torii à l'entrée d'un sanctuaire shinto au Japon

Le portique torii marque l'entrée du sanctuaire. Et, très souvent, derrière lui, des marches conduisent aux bâtiments principaux. A gauche de l'allée centrale se trouve un endroit pour se laver les mains et la bouche avec de l’eau. Puis, peuvent suivre plusieurs bâtiments différents, comme le bureau du sanctuaire, une écurie pour chevaux ou une scène. Au bout du chemin se trouve le haiden, une salle de prière, et derrière elle, le honden, où est abrité le support matériel de la divinité qui y réside. Le torii, un symbole du Japon C’est en 1894, lors de la California Midwinter Exposition aux États-Unis, que pour la première fois, un torii apparut hors du Japon et que des étrangers furent inviter à le franchir. C’est alors que le torii devint symbole du Japon. Dans le même temps que les constructeurs d'expositions similaires et les concepteurs de jardins connaissaient la signification du torii et ne manquaient pas de toujours y associer un petit sanctuaire derrière, les gens ordinaires, eux, passaient totalement à côté du lien qui les unissait pour totalement les différencier et ne plus utiliser que le torii comme symbole du Japon dans leurs jardins où ils l’assocaient à des lanternes en pierre, des pagodes ou des bouddhas. [..et le Toriigate est devenu un symbole du Japon, pas du Shinto, aux États-Unis.] de S. Goto & T. Naka - Jardins japonais Symbolisme et Design Depuis lors, des décennies ont passé et le torii a été utilisé dans le monde entier pour souligner jardins et autres structures, alors que le lien profond qui l’unit avec la seule religion née du Japon s’est complètement perdu. Conclusion Si l’on considère que le torii est un élément inhérent de la religion shinto, son utilisation hors de ce contexte religieux endogène au Japon comme simple élément décoratif de jardin peut apparaître comme un acte d’ appropriation culturelle. Le fait de [..] utiliser des éléments d’une culture qui n’est pas la vôtre, surtout sans montrer que vous comprenez [..] cette culture. Le fait d’utiliser le torii sans qu’il complète l’ensemble des bâtiments d’un sanctuaire répond à la définition du dictionnaire de Cambridge. Cependant, rien n’est si simple. Le shintoïsme nous dit qu’une divinité vit dans tout, dans l’animé comme l’inanimé. Ne serait-ce pas là un argument en faveur de son utilisation dans un jardin dont il marque l’entrée et en fait un espace sacré qui abrite une divinité ? D'autres personnes affirment que si le propriétaire du jardin estime qu'il y a quelque chose d'important derrière le torii, il est tout à fait correct de le placer à cet endroit. Un dernier groupe, lui, se sent mal à l'aise avec l’utilisation d’un torii dans un jardin et non en combinaison avec un sanctuaire.


portique torii au Japon

Mais les Japonais eux-mêmes ne sont-ils les premiers à être en contradiction avec leur usage d’un torii comme, par exemple, lorsque ériger un torii est moyen d’éviter que des étrangers ou des chiens urinent à l’endroit où il est placé ? Un choix plutôt ambivalent, non ? Certains Japonais les considèrent comme un moyen tout à fait approprié de protéger leurs biens, d’autres jugent inopportun de les utiliser de la sorte. Ce que je crois, c’est que nous devons faire la différence entre le torii d’un sanctuaire shinto, et celui qui est devenu aujourd’hui un symbole du Japon de la même façon que la croix pour le Christianisme. Toutefois, les étrangers qui utilisent un torii pour orner leur jardin doivent également comprendre la signification originelle des torii au Japon et être conscients qu’ils utilisent un élément qui, dans son contexte initial, est un objet religieux. Une compréhension mutuelle entre les deux parties, devrait contribuer à ce qu' aucun problème ne se pose."


Sources: Japanese Gardens: Symbolism And Design (Seiko Goto, Takahiro Naka, 2016) Jaanus / Torii鳥居 (Japanese Architecture And Art Net Users System, 2015) Shinto Symbols: Contemporary Religions In Japan, Vol. 7, No.1 (1966), published by Nanzan University Conclusion: Random Japanese and Foreigners I asked about this topic

Header picture by Maicol Santos, Torii in front of shrine by DEAR, Torii in the woods by Jan Gottweiss, all on Unsplash. Thank you <3

Retrouvez tout le travail d'Anika ici :


Anika propose aussi des visites privées pour vous faire découvrir, en sa compagnie éclairée, des jardins japonais à Tokyo et ses alentours. profitez-en !


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